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Gilles Clément « Que faire du mot "Nature" ? »

Les causeries - débats Depuis plus de quarante ans, Gilles Clément pense
le paysage. Il aime avoir les mains dans la terre et
Anny Duperey « Art et Résilience » travailler avec le vivant ; dans la Creuse, où il vit, à
Versailles, où il enseigne, et partout ailleurs, puisque
Tout le monde connaît la comédienne, mais c'est princi- la planète est un jardin. Convaincu que l’idée d’une
palement l'écrivaine qui s'est confiée à nous lors de cette maîtrise de la nature par l’homme est illusoire et
causerie.
Elle a longuement évoqué la tragédie qui a bouleversé dangereuse, qu'il faut laisser faire, aller dans le sens
son enfance, le décès accidentel de ses parents alors qu'el- des énergies en place, il porte la vision d’un monde
le n'avait que 8 ans, son sentiment de culpabilité pour où l’homme vivrait avec la nature et non contre elle.
n'avoir pas pu les sauver. Ce traumatisme a orienté toute
sa vie. La Terre, notre maison, fonctionne comme un seul
Après le drame, elle a été re- et unique être vivant.
cueillie par sa tante paternelle
qui a cru en elle et, malgré ses Au lieu de tenir la nature à dis-
difficultés scolaires, a détecté ses potentiels (dons en tance, nous pourrions considé-
Français et dessin) et lui a donné la chance de les valo- rer que nous en faisons partie.
riser. Elle s'est inscrite aux Beaux Arts de Rouen et se
destinait à la peinture. Un jour, un orientateur scolaire Si tel était le cas, notre espace
lui a conseillé de faire du théâtre, afin de ne pas perdre de vie changerait profondé-
le contact avec les mots. On connaît la suite...
ment. Le vivant deviendrait un
Elle a toujours aimé écrire. Enfant, elle tenait un journal auquel, beaucoup plus ensemble avec lequel nous en-
tard, elle a découvert qu'à 13 ans, elle avait confié : "… j'écrirai MON livre". trerions en dialogue au lieu de
Elle a écrit son premier roman à l'âge de 23 ans. Mais son livre, celui qu'elle
avait pressenti, c'est "Le voile noir". Ayant un jour retrouvé les négatifs de son prétendre le dominer.
père, elle les a développés. A travers ses photos, elle a découvert que son enfan- Le mot "Nature" a été créé par les Grecs anciens pour soustraire le vivant
ce, dont elle ne se rappelait rien, avait réellement existé. C'est de là qu’est né "Le non-humain  dont les plantes – à la superstition animiste de l'époque et le
voile noir", dans lequel elle tente de lever la chape sous laquelle elle a enfoui
tous ses souvenirs. soumettre à la science.
Dès lors, la nature prend un statut qui la met à distance de l'humanité.
Plus récemment, elle a écrit un autre ouvrage, "Le rêve Cette distance n'a fait qu'augmenter au fil du temps sous l'effet d'une techno-
de ma mère". Depuis toujours, elle adorait le cirque. Elle logie de plus en plus performante, au service de la science considérée comme
a appris que ses grands parents avaient appartenu à ce
monde, ainsi que sa mère, jusqu'à l'âge de 19 ans. Elle a la seule porte d'entrée au vivant non-humain. Une illusion de la maîtrise du
retrouvé un jour le cirque dans lequel ils se produisaient. vivant se met en place dès le XIXème siècle, et ne fait que s'accroître depuis
Ce fut comme une évidence : elle a compris alors pour- cette époque. La crise Covid  qui s'ajoute au dérèglement climatique  nous
quoi elle était aussi attirée par le cabaret et l'art circas-
sien. N'y aurait-il pas une sorte d'atavisme qui ferait oblige à réviser notre rapport au vivant en général en nous invitant à accepter
qu'inconsciemment, nous serions amenés à réaliser les une position d'équivalence entre tous les êtres. L'écologie le dit depuis bien
rêves inassouvis de nos parents ? N’a-t-elle pas, par sa vie longtemps. Faut-il accepter l'usage commun du mot "Nature" ou lui donner
d’artiste, réalisé le rêve de sa mère ? un autre sens ?

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